Je suis dyslexique. J’en fais les frais assez régulièrement en dictée… encore hier, j’ai confondu une quarte et une quinte. Avant-hier, j’ai chanté un la, mesure 100, mais je devais chanter un sol.
J’ai des circonstances atténuantes : j’ai joué presque toute ma vie, sans le savoir, un instrument transpositeur (mon piano[1]) ; j’ai eu des cours de formation musicale assez légers et approximatifs ; ma ville natale était trop étriquée musicalement pour pouvoir intéresser quiconque, encore moins un ado comme moi.
Et pourtant, je ne suis pas dyslexique. Avec les mots. (Ça m’a toujours arrangé… surtout en dictée !)
Pourtant, j’écris peu. Je parle peu[2]. Je lis peu. Pourquoi m’a-t-on donc donné ce don-là ? Bigre, j’aimerais pouvoir aller avec un ticket de caisse faire une réclamation.
Ces deux dyslexies m’étonnent beaucoup, parce qu’elles m’atteignent différemment.. Il est difficile de dire avec précision d’où vient mon absence de difficultés en langues vivantes et mon retard de compréhension en musique. Là où cela devient compliqué, c’est que j’ai l’impression de pouvoir vivre encore longtemps sans rattraper mon retard, cependant cette lacune tiraille mes journées de plus en plus[3]. Et à mon âge… Je devrais en avoir fini avec les règles de conjugaison musicale !
Cependant, je me demande ce qu’est la Justesse dont j’entends si souvent parler. J’ai à peu près compris comment on construit une gamme, mais il m’arrive (très) régulièrement d’entendre des chanteurs qui possèdent l’oreille absolue et qui, à mon oreille, ne semblent pas justes.[4] Je commence à me poser des questions : la dyslexie dont je souffre est-elle vraiment la même que celle dont souffrent les dysorthographiques ?
Je pense qu’au contraire il existe une multitude de justesse musicale[5], et qu’on a tort d’utiliser un seul mot pour les désigner toutes. Savoir être juste chez Bach, ce n’est pas savoir être juste chez Messiaen ! La dyslexie de l’oreille et l’oreille tout court sont trop mal connues par les musiciens. Pour l’instant, je ne me sens pas la force de le dire publiquement à toutes ces oreilles propres[6] qu’ils ont tort de se penser Plus Juste. Ça viendra. J’attends… en travaillant mes septièmes d’espèce.
Notes
[1] Le piano n’est pas un instrument transpositeur : un la est un la, sur un vrai piano. Or, mon piano est accordé depuis plus de dix ans un demi-ton en-dessous. Lorsqu’on y joue un la, on entend en réalité un presque la bémol. Surprise surprise. Le pire, c’est que j’ai des réflexes sur mon piano que je n’ai pas sur un vrai… à moins de tout baisser d’un demi-ton. Heureusement, j’ai arrêté d’en jouer depuis 3 ans.
[2] … surtout parce que je fréquente beaucoup de musiciens et de matheux : les deux populations sont très peu lettrées. À mon grand étonnement d’ailleurs, au vu du raffinement esthétique mis en jeu.
[3] Et ce n’est pas en devenant chef de chœur que ça va s’améliorer…
[4] La seule exception à cette règle est R. T. Les amateurs de chant choral reconnaîtront…
[5] Il existe au moins 53 intervalles décelables dans une octave, et on n’en parle jamais que de 12… à cause de ce satané tempérament égal.
[6] expression récemment utilisée par une camarade de chant qui a l’oreille absolue, au sujet des oreilles absolues. Ce n’est pas une amie ; elle est la muse d’un de mes billets.